Une fois l'avitaillement 1 terminé dans l'île de Sao Vicente de l'archipel du Cap-Vert, il fallait bien larguer les amarres 3 pour ma première transatlantique. Cap à l'est vers la Guadeloupe. Rien d'extraordinaire pendant cette traversée de 16 jours mais un rythme très agréable parsemé de petits plaisirs 4. Pas de rencontres 5. Juste faire marcher le bateau 6 et s'adapter à la météo 7. Arrivée le jour de Noël à Point à Pitre où Pascal et Nathalie m'ont fait la surprise de m'accueillir.

Yannick

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Notes

1. Voulant augmenter mes réserves d'eau, j'ai acheté deux gros bidons bien solides au capitaine du port de Mindelo qui a son petit business parallèle. Comme l'usine de dessalinisation était en panne, il s'est chargé de les faire remplir depuis une citerne puis de les livrer au bateau par ses boys. Surprise : les bidons sont étiquetés "acide chlorhydrique". Il n'y auras pas de besoin d'ajouter de détergent pour la vaisselle et la douche. Non, pas de souci, ils ont été bien lavés et les étiquettes auraient été enlevées s'il y avait un coup tordu.

3. Départ groupé un dimanche matin de décembre. La mer avait été forte pendant toute la semaine et beaucoup de voiliers étaient en attente de conditions plus favorables. Une grosse partie des bateaux en escale au Cap Vert continuaient vers le Brésil, quelques-uns vers la Barbade. Rosine et Michel, des bretons du voilier Panonica, ont choisit d'atterrir comme moi aux Antilles Françaises. Nous restons en contact VHF jusqu'à la première soirée mais le lendemain matin tous les bateaux sont hors de portée.

4. Des petits plaisirs : - les escadrons de poissons volants qui volent pendant une cinquantaine de mètres entre les vagues comme des missiles. Ils sont gros comme des sardines avec deux ailerons en forme d'ailes. On en retrouve quelquefois le matin échoués sur le pont.

 

- la pêche des daurades coryphènes à la traîne. Chacun de ces poissons me faisant 4 ou 5 repas et mon nombre de recettes étant très limitées, j'ai arrêté au bout de quelques jours. - les petits déjeuners et les dîners dans le cockpit sous la douce chaleur tropicale de ce mois de décembre. En milieu de journée, le soleil tape trop fort. - la dernière nuit en train de réveillonner en short dans le cockpit sous la lune avec le colis préparé à cette intention par Béa et Loïc - les long moments disponibles pour la lecture. Certains textes ont plus de profondeur quand ont les lit à 2000 kilomètres de la terre la plus proche, comme celui d'Erik Orsenna dans L'Exposition Coloniale : ... tu veux cloisonner ta vie en multiples compartiments étanches... C'est ton droit... Je te ferais seulement remarquer que le Titanic, construit suivant ce principe, a coulé.. - les SMS reçus sur le téléphone satellite. Avec un GPS qui enlève toute incertitude sur la route, un radar pour la veille, un pilote automatique (régulateur d'allure dans mon cas) pour barrer et un téléphone satellite pour communiquer, il n'y a pas lieu d'être stressé tout seul au milieu de l'Atlantique. - le point journalier que l'on reporte sous forme d'une croix sur la carte à 12 H TU pour évaluer la progression.

 

5.0 animal marin, 0 voilier, 2 camions topés par le radar puis en visuel. Aucun contact VHF malgré des appels à tous journaliers.

6 La majorité du trajet a été effectuée avec les 2 génois tangonnés et croisés, la GV étant affalée. Lors des journées où le vent était faible, j'avais envoyé le spi ce qui implique un nombre plus important de cocotiers (voile enroulée autour de l'étai) quand le pilote automatique est à la barre. Le dernier cocotier était tellement serré autour de l'étai que j'ai cru qu'il allait se finir "à l'irlandaise", c'est à dire en découpant la voile au couteau. J'ai arrêté alors d'envoyer le spi la nuit quand je ne suis pas sur le pont.

7. Une journée de petits airs dans une mer formée puis une dizaine de jours avec un bon alizé NE de 20 à 25 nœuds. Mer croisée avec une houle de Nord due aux perturbations dans l'Atlantique Nord. Vent faible de nouveau pendant 2 jours à la fin (12 heures de moteur). Retour du vent à l'approche de la Désirade à l'est de la Guadeloupe. Toutes les journées étaient fortement ensoleillées mais les grains de pluies avec des rafales sont fréquents en début de nuit et surtout en fin de nuit. Il vaut mieux être réveillé à ces moments là pour réduire la voilure si nécessaire

La traversée des Canaries vers les îles du Cap-Vert a pris 8 jours en longeant les cotes africaines dans un vent assez faible. Grâce au routage météo de mon frère qui m'envoie des SMS sur le téléphone satellite, j'ai pu éviter de me planter plusieurs jours dans la zone de pétole sur la route directe. Je me suis rapproché de côte mauritanienne, sans rentrer dans la zone de pêche du banc d'Arguin mais à portée de VHF. Le traffic radio y est assez intense, en chinois, en russe, en arabe, en français ou en anglais et du genre "Stop your engine or I will use my weapon". Tous les pays sont en concurrence afin de puiser dans cette réserve de poissons. En approchant de l'archipel du Cap Vert, j'ai touché les alizés de nord est.

Arrivée dans le port de Palmeira sur l'île de Sal, un des 3 ports autorisés pour une entrée internationale et obtenir un visa temporaire. Ces formalités un peu ennuyeuses doivent être répétées à l'entrée et à la sortie de chaque île de l'archipel. Malgré tout, les préposés sont assez aimables et pas trop pointilleux. Il faut payer une petite taxe fixe mais pas de bakchich. J'ai bien aimé l'officiel de Sao Nicholau s'exprimant en français et qui, pour me demander de patienter, utilisera le mot "espérer" (traduction portugaise de attendre).

Le décor des ces îles : paysages désertiques avec toujours du soleil en ce mois de décembre mais la chaleur n'est pas un problème parce que le vent est toujours fort. Sur les îles de l'est, il pleut une fois par an. Les villages sont de type africain ce qui est normal, on est bien en Afrique, au large du Sénégal. Les maisons y sont bâties avec un rez-de-chaussée et souvent un début d'étage qui a été commencé en posant quelques parpaings mais qui n'a jamais été terminé. Pas d'eau courante. Il faut faire la queue avec ses jerrycans à la citerne d'eau acheminée depuis l'usine de désalinisation sauf à Mindelo qui est une ville bien équipée. Partout on trouve une multitude de petits commerces d'alimentation avec des produits basiques pour des prix élevés compte-tenu du revenu moyen des locaux. Des bazars tenus par des chinois proposent pêle-mêle des tongues, divers ustensiles de cuisines en plastique, des chaînes hi-fi avec plein de leds multicolores au milieu de titi-baskets et robes à froufrous. Pour trimballer tout ce monde et ces marchandises, les "aliguer", la version locale du taxi. Ce sont des pick-up Toyota avec 2 bancs en bois sur la plate-forme arrière. Charge maximale théorique : 6 personnes. En pratique, cela peut aller jusqu'au double de passagers plus quelques poules et régimes de bananes. Sur les plus belles plages, des complexes hôteliers tous neufs pour des touristes italiens. En fait, il y a les hôtels mais peu de touristes comme c'est le cas sur l'île de Boa Vista parce que l'aéroport international n'est pas encore opérationnel. L'île de Sal a obtenu le principal aéroport et le tourisme sur la plage de Santa Maria est florissant. Les liaisons inter-îles ne sont pas très développées comme l'ont fait les Espagnols aux Canaries.

Donc je découvre l'Afrique. Il y a bien sur de la misère au coin des rues mais parmi les pays africains, le Cap Vert est en haut du tableau sur le plan économique et niveau de vie. Conditionné par les lectures de forum sur Internet et les rumeurs de radio ponton qui m'annonçaient que j'allais me faire dépouiller à la première occasion, j'étais sur mes gardes en arrivant et pour tout dire très contracté lors de mes premiers débarquements. En fait, tout se passe bien. Un peu de harassement sur les touristes dans les rues mais pas d'agressivité ou de violence. Les vols dans les bateaux de passage sont une réalité mais dans les mêmes proportions qu'en Europe. Les infrastructures évoluent lentement mais elles arrivent quand même comme la marina de Mindelo qui a fait disparaître le racket des gardiens d'annexes sur la plage. Beaucoup de Capverdiens comprennent un peu le français mais lorsque que tu as une conversation cela peut finir facilement par une demande de "prêt" de quelques centaines d'escudos (100 escudos = 1 euro). On se salue facilement dans la rue mais il n'est pas d'usage de dire systématiquement merci ou au revoir dans les commerces ou dans la vie courante. Les Sénégalais occupent les trottoirs avec les Ghanéens pour vendre de l'art africain et des copies de montres rolex ou pour rechercher un embarquement sur les voiliers de passage pour rejoindre le Brésil ou les Caraïbes. J'ai pu faire un complément d'avitaillement mais il faut chercher longtemps. Rien n'est signalé. Il faut demander et on vous conduira à la bonne porte.

En cette saison où les alizés de NE sont déjà bien établis, on navigue avec 2 ris dans la GV. Les étapes entre les îles 20 à 100 milles sont rapides tant que l'on va de l'est vers l'ouest. Les mouillages sont assez rouleurs mais c'est okay tant que le vent reste au NE. Le panneau solaire et l'éolienne du bateau tournent à fond. L'eau comme l'air sont à 25°. Le pull-over et le ciré ne sont pas utiles. Pas plus que le bulletin météo, il y fait toujours le même temps. Pas plus que les cartes, il n'y a pas de danger à naviguer à vue et de toute façon, les cartes y sont imprécises. Comme certaines îles sont montagneuses, on retrouve des zones d'accélération des vents comme aux Canaries et on prend facilement un pion si on ne s'y est pas préparé (expérience vécue à Sao Nicholau, je suis parti tout dessus mais pas longtemps). Je n'ai navigué que vers les îles dites "au vent" ne voulant pas me taper 100 miles au prés pour revenir des îles "sous le vent".

Après l'île de Sal, j'ai passé plusieurs jours au mouillage sur une belle plage de l'île de Boa Vista où j'ai fait de bonnes pêches. L'île de Sao Nicholau ensuite puis j'ai jeté l'ancre dans la baie de Mindelo, une ville portuaire sur l'île de Sao Vicente, pour y préparer ma traversée vers les Antilles. Une randonnée s'organise avant le départ dans l'île voisine de Santo Antao en compagnie de l'équipage d'Ulysse, un voilier corse. Cette île à l'ouest de l'archipel est la plus verte et la plus agricole avec des vallées spectaculaires parce que bien arrosées grâce aux montagnes qui bloquent les nuages . Pour le folklore, nous choisissons de traverser avec le Ribeira de Paul, un vieux ferry qui est emprunté par les locaux, avec la marmaille, les cartons, les poules.... La mer étant très agitée dans le canal séparant Sao Vicente de Santo Antao, le ferry roulait bord sur bord et ça vomissait de tous les cotés dans les sacs poubelle judicieusement distribués par les matelots du bord dés le départ. A l'arrivée, les taxis collectifs se bagarrent ou obtenir notre business, nous étions les seuls touristes à bord. Va pour celui qui parle quelques mots de français. Il nous amène dans la montagne et nous dépose au départ d'un chemin emprunté par les paysans avec les ânes pour transporter l'eau. Les tongues sont remplacés par des chaussures de marche et nous descendons dans le cratère d'un ancien volcan assez vaste pour cultiver la canne à sucre et le maïs. Nous remontons le flanc du volcan et passons un col qui nous amène dans une vallée étonnamment verte et riche en végétation avec des cultures de céréales et de fruits. Tout à fait l'image idyllique de la vallée extraordinaire d'un roman d'aventure. La descente à travers le chemin pierreux est longue mais facile. Les paysans nous font déguster leur production de "grogue", le rhum local. Les Corses se laissent tenter et achètent une bouteille de ce combustible pur bien que leurs intestins soient déjà bien dérangés par la cuisine à l'huile de palme des Sénégalais de Mindelo. Je m'abstiens parce j'avais préféré le grogue vieux que l'on sert dans les bars à Mindelo. Après trois heures de marche, les ampoules aux pieds du skipper corse éclatent et donc nous finissons en voiture jusqu'au village côtier de Paul. L'équipier d'Ulysse tombe évanoui devant le restaurant (les suites d'une piqûre de poisson pendant une chasse sous-marine qui a été mal soignée). C'est donc avec un équipage corse un peu mal en point que nous retournons à Mindelo mais cette fois confortablement installé dans les fauteuils du luxueux ferry pour les touristes.

Je repasserai certainement par les îles du Cap Vert lors de mes prochains voyages en année sabbatique.

NB pour Nathalie : tu m'avais donné un maillot de bain publicitaire pour faire un cadeau à une Capverdienne. Je n'ai pas encore trouvé l'occasion de le donner parce que les minettes ici ont des tailles de poitrine plus grandes. J'ai acheté des stylos pour les gamins.